16 févr. 2010


Cher Oncle Tobie, 


Je suis Aymeric L., de Talence.

Je me suis décidé à vous écrire après avoir pu mesurer les indiscutables progrès  que ma voisine, Madame  Drain, a fait depuis vos séances d' hypnose. Elle est ruinée, certes, 

mais a retrouvé toute sa vigueur et ce sourire enfantin qui la différencie désormais de ce morceau de moût de veau auquel je pensais naguère lorsque je la croisais dans l'escalier. C'est dommage qu'elle n' ait plus les moyens de vivre dans notre immeuble, il est vrai, cossu. Si je vous écris enfin, c'est que ma vie est une suite ininterrompu d'échecs amoureux. Comme tout le monde,  me direz vous, en spectateur aguerri des passions humaines. Le problème, c'est que cela survient toujours deux ou trois mois après  que je me sois  installé avec  l' être aimé, sous le même toit, et que notre vie commune semble un paradis permanent. Je me dois de vous dresser un tableau de ce que je pense être, de ce que je sais être, le reflet de ma personnalité dans l'oeil de verre de mon interlocuteur. Je vais bientôt avoir 40 ans. J'ai fait de brillantes études de droit international, mais il  y a dix ans, j'ai changé de cap, pour un métier créatif où je m'épanouis pleinement, dans la reconnaissance de mes pairs et aussi la certitude d'un confort matériel qui n'est pas négligeable. Je suis engagé dans de nombreuses oeuvres caritatives, pour lesquels je me dévoue sans que cela soit une sorte de passe droit moral.

J'effectue avec soin le tri de mes ordures. Le compost n'a plus de secret pour moi. J'utilise ma voiture que lorsque c'est réellement nécessaire. J'aime les enfants, et je peux passer de longues heures à promener mes neveux et nièces dans les musées comme dans les salles de cinéma où je sais rire de bon coeur avec eux en regardant des films commerciaux. Je sais, lors d'une soirée entre amis, ne pas m'appesantir sur le bricolage, le football ou bien des sempiternelles histoires où je rive le clou de mes collègues de travail, ayant toujours le beau rôle, étant toujours la victime d'un complot mettant en péril ma légendaire bonne foi. Je suis de gauche, mais n'ai rien contre une ouverture avec le Modem et les écolos car le principal est d'arriver à la victoire, même si je doute de l'issue. Je prends soin de mon corps. Chaque matin, 100 pompes me maintiennent dans une vivacité de guêpard. j'ai une alimentation équilibrée, bio sans exagérer, me nourrissant aussi des fruits et légumes que je cultive à la saison sur un lopin de terres tout proche.

Je  parle  6 langues dont 4 couramment. Je me tiens au courant de l'actualité artistique et culturelle, préservant toujours du temps pour lire les nouveautés. Quand j'aime une femme, je suis tendre, mais fort aussi, dirigeant sans être directif. Mes cadeaux sont toujours le fruit d'une réflexion, la preuve que j'écoute ce qu'elle me dit, lorsqu' elle croyait que j'avais oublié ce petit indice. Ma passion est brûlante, mais je la tempère juste avant qu'elle ne devienne une mélasse de pathos, d'opéra rock en carton pâte. Sexuellement, je suis une oreille tout ouïe, à l'écoute des moindres soupirs, des moindres variations, et si d'aventure, j'étais victime d'une panne, je sais en rire, et non pas m'autoflageller en attendant que l'on me réconforte.Je suis honnête, sans être idiot, lucide, sans être froid, responsable, sans paternalisme. Et pourtant, malgré toutes ces constatations qui pourraient paraître vaniteuses mais qui sont le fruit d'une profonde auto-analyse, arrive toujours le soir où rentrant à la maison, je trouve sur la table de chevet de mon amour absente ce mot " je n'en peux plus, j'ai besoin de réfléchir un peu", ce qui sonne toujours le glas de notre idylle. Que dois je faire, Oncle Tobie ? Où est la faille ? J'avoue que je ne sais plus quoi faire. J'ai eu dans l'idée de me retirer au Guatemala pour ouvrir un dispensaire pour non-voyants frigides et diabétiques , ou même vivre des aventures sans lendemains avec des filles de passage, mais je ne puis m'y résoudre. La disparition subite d'Emma, mon dernier amour, a laissé un vide dans mon coeur comme le garde meubles de madame Drain qui a reçu la visite ce tantôt d'un huissier zélé. Aidez moi, Oncle Tobie, quoiqu'il m'en coûte.




La réponse d'Oncle Tobie



Petit fumier. Minable. Vous avez vainement essayé de m'avoir. Béni oui oui. Chacal des steppes. Figurez vous que ce matin même, avant que je reçoive votre courrier, Emma, votre ex petite amie, est venue me consulter. Elle vient déjà depuis quelques semaines, et a eu le temps de me raconter les faits terribles qui vous sont à charge. Elle m'a avoué votre soudaine transformation. Les efforts qu'elle a fait pour surpasser sa douleur. Votre indifférence aussi, presque sadique. Et lorsqu'elle vous a demandé de faire quelque chose pour que cela cesse, vous avez tout simplement ignoré ses conseils. Celle d'une femme aimante. Elle n'a pas pu supporter plus longtemps cette chose répugnante qui stagne en vous. Car Aymeric, il faut qu'enfin vous vous l'avouiez à vous même : lorsque vous trouvez enfin l'harmonie, vos doigts se mettent à puer l'échalote. On se croirait dans la section cuisine d'un centre de formation et d'apprentissage de deuxième zone. C'est dégoûtant. Vos vêtements en sont imprégnés. Emma m'a ramené une de vos dernières lettres d' amoureux éconduit, j'ai dû la tenir avec une pincette, en me bouchant le nez. Vous êtes un bouillon cube aux légumes vivant. Une sorte d'ode lacrymal aux bulbes alliacées. C'est simple, dans un hypermarché, les barquettes d'onglets s'extirperaient des armoires réfrigérées pour vous suivre à la trace. J'ai pour vous la plus profonde aversion. Derrière votre perfection feinte, se cache un tonneau de lie des flacons de Maggi frelatés.  Non je ne garderai pas cette fois ci la distanciation nécessaire à l'exercice de ma profession. Je vous laisse, avec un dernier conseil, car ça commence à sentir le râgout ici : tentez désormais de séduire des femmes atteintes de sinusite permanente, peut être accepteront elles le calvaire de votre présence. Non mais des fois.

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