16 févr. 2010


Monsieur le préfet,


Ayant acquis une concession à perpétuité d'un terrain dans le cimetière de Vatan ( Berry), où monsieur C., mon père a été enterré le 17 mai 2009, je vous prie de vouloir m'accorder l'autorisation de faire exhumer et réinhumer ses restes dans le dit cimetière.

Veuillez agréer, Monsieur le préfet, l'assurance de mes sentiments les plus respectueux.

                                                                                                                Hortense V.



La réponse d'Oncle Tobie


Maman, je t'ai déjà expliqué que cette rubrique est un espace thérapeutique, et en aucun cas le réceptacle de nos petits conflits familiaux. De plus, je dois te le rappeler, c'est mon frère Tristram qui est préfet, pas moi. Moi je suis le raté de la famille, le Jacques Lacan de la cour des miracles, le confesseur patenté des tracas inextricables comme tu as eu la bonté de me le  rappeler alors que nous levions tous nos verres pour fêter la nouvelle année. J'en profite pour te dire que je ne viendrai pas pour la galette des rois, car je vais à Stockholm recevoir un prix pour l'ensemble de ma carrière. En plus je n'ai jamais eu la fève, contrairement à mon frère qui les collectionne dans une petite boîte en loupe de noyer que tu lui as offert pour la circonstance. Je te remercie encore pour le pullover trop grand, je m' en suis servi temporairement pour boucher une fuite dans le velux après les intempéries du milieu de la semaine, ces dernières ayant endommagé irrémédiablement le tableau représentant les étapes physiologiques  du choléra offert à ta belle fille pour ses quarante ans. 




Cher Oncle Tobie, 


Je me permets de vous écrire, poussée par ma voisine  Florence T. , votre patiente depuis deux ans déjà, qui est transformée depuis que vous la suivez. Elle ne boit plus que 3 litres d' eau de vie par jour, ce qui est vraiment un progrès considérable.

Voilà la raison de ma missive. Je suis née dans un pays en guerre, et fus expulsée du ventre de ma mère par le souffle d'une bombe qui me projeta dans une cheminée, heureusement éteinte, cheminée qui m'a protégé lorsque la maison s'est effondrée sur toute ma famille ainsi que la sage femme et les trois amies de ma soeur de 8 ans qui jouaient dans le salon. Cinq années plus tard, le ferry sur lequel l'on m'avait placé avec la totalité de l'orphelinat en partance pour une zone plus stable fut torpillé et nous ne fûmes qu'une dizaine à réchapper à ce désastre. La paix revint, et plus tard, je rencontrais un gentil garçon qui malheureusement mourut écrasé par un tramway alors qu'il venait  me demander en mariage. Je regarde  parfois son alliance tordue avec mélancolie. Je trouvais un emploi stable dans une conserverie de sardines, quand une citerne d'huile d'olive céda, noyant toutes les ouvrières de la chaîne, alors que je prenais ma pause réglementaire en  grillant une cigarette. Effrayée par les cris venant de l'atelier, je jetais mon mégot au hasard mettant le feu au service comptabilité. Ma malveillance non préméditée fit 9 morts. 

J'essayais de retrouver goût à la vie, et rencontrais Bernard M., qui fut le premier à créer une boîte de saut à l'élastique dans les gorges du Verdon. Je crois que je n'ai pas à vous expliquer la fin tragique qui fut la sienne, succédant aux drames que je vous ai narré, faisant fi d'un certain nombre de castastrophe, affective, personnelle, extérieure.

Ne vous y trompez pas. Je suis suréquipée pour la résilience. Tous ces traumatismes glissent sur moi comme  de l'eau sur une toile cirée. Et puis j'ai déjà fait une analyse, au terme de laquelle mon psychanalyste fut retrouvé une balle de petit calibre dans le crâne sur son divan. Alors, me demanderez vous, pourquoi vous écrire, pourquoi tirer la sonnette d' alarme. Et bien voilà. Je vis avec Victor depuis 12 ans. Je n'ai pas peur qu'il tombe du toit en le réparant où qu'il ait un accident de voiture, car il est hémiplégique. Il est doux, calme, réservé, mais nous avons tous les ans une dispute récurrente dont j'aimerai bien me passer. Voilà. J'ai planté jadis dans notre jardin des églantiers, qui tous les ans, nous apporte plusieurs kilos de cynorrhodons que je transforme parfois en jus, souvent en confiture. Et là vient l'objet de notre désaccord : Victor soutient qu'il faut une fermentation de 48 heures pour que les fruits deviennent plus tendres. Moi je pense plutôt  qu'il faut de 4 à 5 jours. Rustica, auquel nous sommes abonnés, parle de 6 jours. Télérama confesse que trois suffisent amplement. Pourriez vous trancher ce noeud de discorde, cher oncle Tobie ?

                                                                                                                                                                                   Micheline Q.


La réponse d'Oncle Tobie


à la vue des nombreuses péripéties tragiques auxquelles votre entourage semble inexorablement lié, je ne prendrai pas le risque de vous contredire.

Je vous donne donc ma propre recette. Le fruit du cynorrhodon renferme beaucoup de vitamine c, de pectine, de glucose, de tanin bien sûr, d'acide citrique et malique.

En cela elle constitue un véritable rempart à nos petits désagréments. Pour ma part je place les fruits dans un peu d'eau, puis au frais et je remue de temps en temps pour que toute la masse soit humide. Je laisse fermenter comme vous 4 à 5 jours, les fruits sont devenus tendres, il est temps de les passer au tamis. On aura bien sûr préalablement débarrassé les fruits de leur duvet et de leurs graines. La cuisson est la même que pour une gelée d'arbouse ou de groseilles, il faut compter 750 grammes de sucre pour un kilo de purée de cynorrhodon. Je vous laisse, je dois expliquer à un autre patient les joies du carrelage thermoplastique. Toutefois, attention. L'absorption régulière de cette confiture

peut être fatale.


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