15 févr. 2010

Ne soyons pas dupes. La fin du monde approche. C'est le marasme, la chienlit, la dèche, la panade. Avez vous dans votre entourage un seul être humain qui n'ait mal ni au dos, ni au ventre, ni à la tête, ni un cumul de ces trois maux ? La planète meurt, les chinois préparent en secret la troisième guerre mondiale, et, au lieu d'apprendre à nos enfants à dire en mandarin "Ne tirez pas" on préfère s'enfermer dans nos dépressions respectives. Une poignée d'entre nous a décidé de réagir, de rester droit dans leurs tongs en attendant le tsunami. Et parmi eux, votre serviteur, Oncle Tobie. Car Oncle Tobie trouve toujours un problème à vos solutions. Il répond désormais à toutes vos requêtes, traquant la raison, passant le sens à la gégène, débusquant l'objectivité dans le maquis du conscient, traitant le mildiou de vos angoisses à la bouillie bordelaise de son instinct.
Oncle Tobie vous répond.



Cher Oncle Tobie, 
tout d'abord vous remercier pour ce que vous faites pour nous. Quand il n y a plus d'espoir, il y a encore Tobie. Vous êtes notre planche de salut, la boîte de raviolis au fond du placard quand il n'y a plus rien. Je m'appelle Colin M., et suis ostréiculteur à Marrennes Oléron, mais ce n'est pas ça, mon problème. Les fêtes se sont bien passées, globalement les gens continuent à manger des huîtres, c'est comme ça depuis l'antiquité, la marge bénéficiaire a été satisfaisante, les vacances à l'île Maurice ne sont pas compromises, vous voyez, le problème n'est pas là non plus. J'en viens au fait. J'ai rencontré Olga sur la plage des Saumonards l'été dernier. je fus séduit au premier regard. Olga est la distinction née. Sa manière de dédaigner le serveur qui lui amène un déca, en baillant, les infimes variations de ses ondulations postérieures, sa froideur minérale, un peu à la Garbo, sa manière subtile d'entrouvrir les lèvres comme pour un baiser volé, la lenteur, l'économie de ses gestes subtils,tout concourait à en devenir fou amoureux. Certes, on pourrait s'ennuyer à la longue de ses silences prolongés. Pas moi. Vous auriez connu mon ex femme, et subi sa perpétuelle logorrhée, vous me comprendriez. Non, après mon divorce, Olga fut une aventure réparatrice, un vent iodé dans la chevelure de mon coeur, la plus belle des manières de ne pas m'enfermer dans ma coquille. Parfois on restait assis des heures, sur un banc, à lire les coefficients de marée, à regarder les mouettes se chamailler pour une boule de glace qu'un enfant aura laisser tomber. Mais la plupart du temps, le désir était trop fort. J'avais loué un petit studio pour qu'Olga ne se sente pas gênée de dormir à la maison, au début. Nous faisions l'amour tout la nuit. Offerte sur le grand lit d'algues, Olga ouvrait bien grand son manteau de conchyoline, me laissant découvrir la volupté de son corps frissonnant. Le battement de ses cils donnait la mesure du rythme de nos ébats. Je me déshabillais, m'approchais d'elle, entrais en elle. Elle refermait doucement sa grand coquille, et je ne sais pas comment elle s'y prenait, mais une vague de plaisir me réchauffait derechef. Je n'ai jamais connu une huître comme Olga. Sa taille, digne des livres des records, vous coupait le souffle. Il fallait la voir se déplacer, imperceptiblement, entre les tables d'un restaurant végétarien, avec cette grâce étrange, éthérée, d'une danseuse du Bolchoï prématurément arthritique. Sa peau, d'un vert qui rappelle les lagunes, aux reflets gris comme un ciel d'Ostende. Le cliquetis d'horlogerie suisse, quand elle se refermait comme un coffre genevois. Être en elle, c'était être bercé dans le liquide amniotique du désir, c'était l'amour fossilisé, c'était avoir un rendez vous dans le boudoir de Neptune avec Vénus. Tout allait bien, jusqu'à peu près la mort de Mercedes Sosa, la chanteuse Argentine, bien qu'il n'y eut aucune relation entre notre histoire et cette mort prématurée. C était vers le 9 Octobre, je m'en souviens. Je traversais la place d'Oléron, quand soudain une BMW décapotable s'arrêta à mon niveau. Je fus tout de suite séduit par sa peau d'un noir de geai, ses reflets de nacre, son caractère hispanique, volcanique, cette défiance, cette allure, son regard de braise, à la Ava Gardner. Son prénom n'était pas Ella, mais Irina. Je n'avais jamais vu une moule de Bouchot aussi parfaite. Il se dégageait d'elle un érotisme trouble, équivoque, bivalve. Elle avait le don, en respirant, de légèrement ouvrir son corsage, laissant apparaître une peau d'un orange soutenu, une promesse de fragrance safranée, un flamenco des effluves. Je montais dans la voiture, elle ne me regarda même pas, nous filâmes jusqu' à la plage, ne nous souciant ni du froid, ni des embruns. Nous regardâmes l'horizon, puis sans dire un mot, elle se fixa à mon pieu de chêne ( j'ai la chance d'être correctement doté), allant et venant, jusqu'à ce que j'en perde connaissance. Quand je repris mes esprits, ma conscience me brûlait les entrailles. Devais je tout dire à Olga ? Supporterait elle mon infidélité ? Depuis ce jour, Je vois Irina clandestinement. Nous nous rejoignons nerveusement dans des chambres d' hôtel, ou bien je prétexte un état de fatigue pour prendre un week end de remise en forme, loin, à Deauville, et Irina me retrouve dans mon bain à remous. Elle accepte relativement bien que je ne puisse me résoudre à faire un choix. Elle m'a envoyé encore à Noël (je prétextais d'aller fumer une cigarette sur le balcon pour consulter mes sms) un message pour me dire que nous avions le temps, que j'avais le temps. Elle a conscience qu'Olga est, sous ses dehors hiératiques, une huître sensible, qui se refermerait à tout jamais si elle était brisée par une peine de coeur. Je ne sais que faire, Oncle Tobie. Aidez moi à prendre une décision.


La réponse d'Oncle Tobie.
Voilà qui prouve qu'il n'est pas toujours aisé d'avoir l'embarras de l'anchois. Votre histoire n'est pas sans me rappeler un film de la fin des années 80, avec Sophie Marceau et Jacques Dutronc, mes moules sont plus belles que vos huîtres, ou un truc comme ça. Et bien mon cher Colin, vous semblez pris dans la nasse de l'amour. Mais c'est là la nature aventureuse de l'homme, ce marin au long cours. Je suis intimement convaincu que si nous avions autant de bras que les étoiles de mer ont de branches, nous cumulerions bien plus qu'une ou deux aventures amoureuses. Vous savez, il n'est pas facile pour une huître d'être mise au ban. Vous pourriez pourtant prendre le thon par les branchies et lui envoyer une lettre de rupture, accompagné d'un bijou, les huîtres aiment beaucoup les colliers de perles, vous savez. Mais je crois lire entre vos lignes, comme dit un bar rusé évitant les pêcheurs. L'amour, c'est un sport de combat, hameçon-cible s'abstenir. Quand on a la chance, mon cher Gautier, d'avoir à ses côtés deux beautés comme Irina et Olga, au lieu d'un thon et d'une morue, on peut, vénalement, continuer à jouer le vaudeville. Mais vous êtes tombé dans les filets du remords. Cela prouve que vous avez du coeur. Entre la raison et la passion, l'homme sera toujours écartelé. Je pense que vous n'êtes pas allé assez loin dans les retranchements de votre coeur, qu'il vous faut encore avancer, tel un saumon remontant un torrent. Bientôt, j'en suis sûr, vous nagerez dans l'eau limpide de la décision pleinement acceptée, dans la paix des sens. 
Le temps, il n y a que ça de vrai, ne vous faites pas de sushis. Et n'oubliez pas que le destin est facétieux. Vous pourriez bientôt rencontrer une noix de pétoncle, pas lourde, saine et intelligente, modeste, mais sûre, qui saura vous faire oublier les tourments cornéliens de l'amour. N' hésitez pas à me recontacter, que je puisse voir comment la mayonnaise a prise.

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