18 févr. 2010

SEXUALITE


Philippon De la Tourbe nous écrit de Saint-Sourd l'Anguille :


De temps à autre, par désœuvrement, j’avoue faire l'amour avec une chaussure.

Attention, je ne suis pas un pervers et il n’y a rien de très excitant à tout cela si l’on n'y met pas un brin de passion. Je commence donc par lui faire la cour : une cour prudente et chaste au début, puis un peu plus appuyée. Je soupire, je lui jette des regards désespérés, c’est une cour explicite mais extrêmement courtoise, très dix-neuvième.

Elle, de son côté, fait mine de ne pas me remarquer. Elle affiche une indifférence hautaine en réponse à mes mots doux et me tourne résolument les talons chaque fois que j'essaie de l'aborder. Une vraie coquette. Je fais alors semblant d'abandonner, je froisse mes lettres enflammées et les jette à terre avant de faire celui qui part sans se retourner. Bien entendu, c'est le moment qu'elle choisit pour laisser pendre un lacet que je m'empresse de renouer, les doigts tremblants d'excitation. La glace est rompue et nous balbutions notre première conversation. Je l'invite à prendre un pot au café du coin. L'ambiance est très détendue ; nous rions, nous nous apercevons que nous avons pleins de choses en commun et regrettons de ne pas nous être rencontrés plus tôt. Je la raccompagne ensuite jusqu'à chez elle et là, elle m'invite à prendre un dernier verre, mais je refuse, je prétexte que je dois aider un cousin tétraplégique à apprendre le Sanskrit le lendemain et je la laisse seule, un peu décontenancée. Que voulez-vous, c'était trop facile, tout est allé trop vite. Je la rappelle le soir suivant pour lui dire que j'ai réfléchi, que ce n'est pas la peine qu'on se revoit, que je ne suis pas prêt à assumer une liaison durable et qu'il vaut mieux qu'elle m'oublie. Elle éclate ensuite en sanglot et me supplie de venir la rejoindre, sinon elle se jette du douzième étage. J'arrive chez elle in-extrémis et parviens à la faire renoncer à son projet fatal. Nous nous embrassons alors fougueusement sur le canapé tandis que mes mains fébriles caressent son cuir mordoré et que le crépuscule lance ses derniers feux sur les nuages incandescents qui roulent à l'horizon. Là d'accord, je veux bien lui faire l'amour en parfait gentleman car j'aurais vécu une passion intense et brûlante dans un cadre hautement romantique.
Comme je disais à ma femme l’autre jour : « Autant se branler dans une godasse, sinon. » Elle est parfaitement d’accord avec moi là-dessus, mais je sens qu’une gêne légère s’est installée entre nous. Ma passion pour certains souliers lui semble suspecte. Pourtant, je fais attention de ne choisir que des bottines en skaï ou des escarpins en croûte de porc, mais elle semble irritée, j’irai presque jusqu’à dire jalouse.

Comment lui faire comprendre que cette innocente manie n’altère en rien les sentiments que je lui porte ?


La réponse d’Oncle Paul :


Cher Philippon,

Votre passion pour la cordonnerie n’a rien de répréhensible tant qu’elle reste dans le cadre légal et juridique de l’adultère domestique de proximité. De grands hommes comme le Maréchal Flemme ou Henriette De gaule ont eu eux-aussi recours à ces expédients pour lutter contre l’usure naturelle du désir, avec le succès que l’on connaît.

Il nous apparaît cependant que votre penchant pour le romantisme risque de nuire à l’épanouissement de votre couple। Soyez donc moins ciel à ciel et renoncez aux préliminaires pour vous consacrer uniquement à la phase finale de votre entreprise en ayant soin de choisir des cuirs blancs et nacrés qui pourront faire passer votre semence pour du cirage. Votre épouse sera de la sorte réconfortée de voir avec quelle assiduité vous vous consacrez aux tâches domestiques et oubliera bien vite vos passades antérieures au profit de la pommade présente que vous aurez soin d’étaler avec ostentation sur ses brodequins, au point qu’elle risque fort de défaillir et de feindre l’abandon vénérien. Dans ce cas, faites-lui respirer les sels et profitez-en pour achever de lui changer ses chaussettes en soie, même si c’est plus compliqué à dire qu’à faire.


Illustration: description anatomique de la chaussure du futur par Léonard de Vinci. Comme beaucoup de ses inventions, elle ne connut qu'un succès mitigé.

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