POESIE
« Le dessous des signes » de Jean Chapoutin
« Le poète est celui qui s’écrie à jamais pour toujours » disait René Rougeard au cours la préface fameuse qu’il consigna jadis dans son Anthologie de
Pour tout dire, l’ensemble des textes réunis dans ce recueil –pour la plupart inédits- est formé à première vue de blocs grammaticaux abscons et déroutants pour le non-initié.
Fort heureusement, si l’on a la sagesse et l’intuition de ne pas s’en tenir au sens trivial et littéral de la chose dite, mais plutôt à la mélodie, aux sons, il est facile alors de s’abandonner à l’émotion première de la phrase dans sa candeur initiale, au babil subtil d’un « je » dont le contour s’efface à mesure que grandit en nous la notion d’immanence, extase frôlée mais jamais déflorée, indicible ardeur à naître par et pour les mots qui nous accouchent et nous délivrent de notre aveuglement rationnel, cette ornière matérielle dans laquelle gît notre âme impuissante. C’est le but que s’est en tout cas fixé Chapoutin tout au long de sa vie d’ermite érudit, au cœur de la campagne Margouilloise et des ses frustres habitants.
Mais laissons s’élever la parole du poète :
LE PRE DES SONGES
J’ai trop aimé le vent,
La mer
Le ciel,
J’ai trop aimé traîner
Dans le tunnel des odeurs
Dans l’herbe,
La fleur.
J’ai trop aimé la vie,
L’amour,
Le vin,
J’ai trop aimé dormir
Et me voici devin
Dans le temple
De l’heure.
Qui
Pensera
M’oublier ?
Qui
Restera
Mobilier ?
Ô mon corps,
Je te donne cent baisers,
Puisse le sommeil
Venir t’emporter.
Ce petit sonnet est d’autant plus poignant qu’il semblait augurer de la fin tragique de Chapoutin. Ce dernier fut en effet dévoré par les fourmis alors qu’il faisait une sieste bien méritée sous un pommier. Prémonition ?
Seuls les poètes et les esprits élevés comme ceux de Chapoutin bénéficient de ces éclairs de lucidité prométhéenne et nul doute que ce petit ouvrage finement ciselé émerveillera les âmes pures nanties de longs trajets en métropolitain, et leur servira de passeport pour changer de quai, le cœur léger.
Illustration: Jean Chapoutin sur le point de s'endormir après avoir frôlé l'absolu. Gravure anonyme.
J'ai bien connu Eugène Chapoutin, son neveu. Lui aussi touché par la grâce des lettres, on lui doit notamment un "Virgile à la montagne" ainsi qu'une étude sur les chaise-longues pour nains en milieu vacancier. Mais son chef d'œuvre reste sans aucun doute "La fille de la brigade légère", longtemps tenu pour être de la main même de son oncle, alors qu'en fait non. C'est fou.
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