17 févr. 2010

SANTÉ


L'ANKYLOSE DE CARRARE




La maladie dont nous allons parler aujourd’hui est peu commune, sans être rarissime non plus, mais elle est classée parmi ce qu’il est convenu d’appeler les maladies orphelines, à la différence de la peste par exemple dont on connaît bien les parents qui sont le choléra et la grippe.

L’ankylose de Carrare, puisque c’est d’elle qui s’agit, était autrefois appelée le « mal blanc » ou « syndrome de Michel-Ange ».

C’est une maladie qui s’attrape en faisant la sieste sous une statue de militaire. Des miasmes encore inconnus vous pénètrent durant votre sommeil et vous voilà contaminé. Au stade de l’incubation, la progression du mal est lente et passe inaperçue, mais petit à petit les extrémités de vos membres supérieurs blanchissent et deviennent friables comme un mauvais calcaire tandis que les articulations se durcissent et qu’il devient pénible de faire un mouvement, pénible et extrêmement risqué : on en connait qui se sont rompus les avant-bras pour avoir applaudi trop fort au théâtre ou à l’opéra. Il convient donc d’éviter les spectacles burlesques.

Au bout de quelques mois, vous êtes parfaitement fossilisé et il vous est devenu impossible de faire le moindre mouvement sans risquer de vous désagréger comme une vieille tranche de pain sec. C’est le premier stade, le plus douloureux.

Passé cette période peu agréable, votre famille vous met généralement dans le jardin car vous prenez trop de place dans le séjour, et si elle n’a pas de jardin, elle vous met à la cave, en tout cas dans un endroit frais et bien ventilé. C’est ce que les médecins appellent la période de latence. Elle peut prendre quelques semaines à plus d’un demi-siècle dans certains cas exceptionnels. Vous pouvez observer à loisir vos ongles de pied pousser.




Ensuite une rémission survient, assez brève, mais qui vous laisse le temps de souffler un peu et de rédiger votre testament si vous ne l’aviez pas encore fait. Cette courte période de ramollissement est poignante et constitue toujours un spectacle de choix pour les âmes sensibles en quête d’émotions rares car c’est aussi la dernière fois que l’on vous verra rire et danser la Lambada en string.

Le dernier stade est sans surprise: la fossilisation reprend de plus belle et vous mourez bêtement recroquevillé dans votre lit en essayant de faire un mot que la postérité retiendrait, mais vous n’arrivez pas à desserrer les mâchoires, alors vous faites « Arr ! » comme tout le monde et on vous enterre bien vite car votre agonie a mis les nerfs de votre famille à rude épreuve, il faut la comprendre.

Des cas de guérison spontanée sont bien observés ici et là, apportant un peu d’espoir à celui ou celle qui est atteint du mal mais, une fois rétablis, ces sujets restent nerveux et instables, peu enclins à la vie de famille, et finissent généralement par écrire leurs mémoires dans un style minéral qui n’engendrent qu’un ennui stérile chez leurs rares lecteurs.



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